Rencontrez René Schaerer, un entrepreneur social suisse et innovateur promouvant un modèle de vie durable sur la côte brésilienne à travers de activités économiques ainsi que l’engagement et la participation civique des pêcheurs artisanaux.

René Schaerer est né en Suisse en 1941. Il rejoignit Swissair (compagnie aérienne suisse) en 1961 et y poursuivit sa carrière pendant 31 ans à differents postes aux Etats-Unis, en Italie, en Espagne et au Brésil. En 1992, alors qu’il est âgé de 51, René fit le choix décisif d’abandonner sa carrière et de s’installer dans le village de pêcheurs de Prainha do Canto Verde. Il est co-fondateur de l'Institut Terramar et du réseau de tourisme communautaire et est aussi membre du Collectif international d'appui à la pêche artisanale (ICSF) avec siège social à Chennai, en Inde. Il est également membre d'Ashoka et l'initiateur de l'Association philanthropique des Amis de Prainha do Canto Verde en Suisse. René a publié plus de 20 articles et présenté à plus de 10 conférences et congrès internationaux. René consulte souvent sa fille Michelle, qui détient un doctorat en biologie marine à l'Université de Porto Rico. Il vit avec sa femme Marly dans la Réserve marine de Prainha do Canto Verde. Il peut être contacté par e-mail à <Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.>.

René a accordé à Mundus maris l'interview suivant

MM: Pouvez-vous nous parler de votre emploi actuel et pourquoi vous vous souciez autant des pêcheurs et de l'océan?

RS: il ne s’agit pas d’un travail, mais d'une certaine manière d'une mission. Quand j’ai quitté mon emploi et déménagé à Prainha do Canto Verde dans le nord-est du Brésil, je cherchais un nouveau défi. Le développement de la pêche et la promotion du développement communautaire pour sa population de 1000 âmes est devenu une passion et a vite conduit à des conflits avec les spéculateurs immobiliers. C’était aussi l’occasion d’apprendre davantage sur la pêche et d’aider les pêcheurs à participer à la gestion de leur propre activité. Ils apprennent qu’avec de petits changements de comportement, il est possible de contribuer à préserver et même de reconstruire les ressources océaniques en utilisant tous les moyens disponibles pour attirer l'attention sur la nécessité urgente pour la protection de la mer qui constitue le gagne-pain de nombreuses personnes sur la côte.

Il y a vingt-trois ans, les pêcheurs étaient totalement dépendants des intermédiaires pour les engins de pêche, les appâts et la glace. Ils vendaient le poisson et le homard à bas prix. Cela a changé. Maintenant ils possèdent leurs propres bateaux et engins. Ils vendent à des prix compétitifs aux mareyeurs indigènes qui jouent le rôle des intermédiaires.

Avec l'aide d'un fonds de microcrédit, les pêcheurs ont commencé à faire leurs propres casiers à homard et des filets de pêche. L'Association philanthropique "Amigos da Prainha do Canto Verde" en Suisse a réalisé un grand travail dans ce sens.

La pêche du homard était freinée par la pêche illégale et prédatrice des plongeurs sur des bateaux aux compresseurs qui menaçaient aussi tout le secteur artisanal sur prés de 574 km de la côte de Caesara. Les acteurs locaux étaient aussi ignorés par les autorités et ne participaient nullement dans la gestion de la pêche. Le 4 avril, 1993, quatre pêcheurs sur une jangada (radeau à voile typique) ont navigué à Rio de Janeiro pour protester contre la pêche illégale, la spéculation immobilière et le développement du tourisme de masse. Ils ont été accompagnés par deux femmes qui ont fourni la logistique et assuré la communication le long du voyage. Les pêcheurs voulaient avoir leur mot à dire dans les politiques publiques le long de la côte.

À la fin du voyage, l'ONG Instituto Terrramar a été fondée à Fortaleza et a commencé à travailler pour le développement intégré des communautés côtières. Deux ans plus tard, le gouvernement de l'État de Ceará a reformé le secteur en invitant les pêcheurs à participer à la première réunion du Comité national de gestion de la pêche qui a été créé dans le pays.

Ce partenariat a permis la réalisation du premier plan national de gestion de l'homard approuvé à Brasilia en 1996. Les pêcheurs se sont organisés et ont créé le Forum Pêcheurs de Ceará. Ils ont invité les ONG et la société civile à agir contre la spéculation immobilière. Le Forum pour la défense de la zone côtière (FODZCC) allié avec les procureurs fédéraux et l'Agence fédérale de l'environnement IBAMA a réussi à arrêter l'expansion des stations touristiques le long de la côte de l'Etat du Ceará. Prainha do Canto Verde était la première communauté le long de la côte du Brésil à introduire une forme plus durable du tourisme, appelé tourisme communautaire (CBT). Les communautés y développent leur propre entreprise de tourisme en tant que propriétaires et non comme simples ouvriers.

Le plus important a été le CBT, qui lutte contre l'accaparement des terres en créeant des incitations pour préserver la propriété des communautés. Les générations futures peuvent choisir de devenir pêcheurs ou non, mais ils pourront compter sur leur propre pays et les possibilités d’y générer des revenus avec de nouvelles technologies, des emplois dans le secteur des services ou de l’industrie. Aujourd'hui, 15 collectivités de la côte forment un réseau de tourisme communautaire appelé rede TUCUM. Ils travaillent avec les communautés de tout le Brésil pour créer le TURISOL, un réseau national de tourisme communautaire.

MM: Qu'est-ce que vous considérez comme les deux plus graves menaces pour les océans, la vie marine et les écosystèmes marins?

RS: D'abord, la migration et la croissance démographique sur la côte, en raison de la désertification à l'intérieur du Nord-Est qui amènera les gens sans terre dans la région côtière. Deuxièmement, la surpêche à travers la pêche illégale, non déclarée et non reglementée (pêche INN), comme partout dans le monde.

MM: Pouvez vous nous en dire plus?

RS: Le réchauffement climatique et les principaux facteurs météorologiques (El Niño) contribueront de plus en plus à la sécheresse qui affecte une grande partie de l'intérieur du Brésil, provoquant la migration vers la côte. Le Brésil a de belles côtes que beaucoup de monde lui envie. Elles ont l’avantage d’offrir des vues splendides, la baignade, la nourriture, les cultures locales attrayantes, et un rythme de vie tranquille. Mais la migration conduit à la multiplication des conflits et de la concurrence entre les communautés et les investissements de capitaux dans les stations, les projets d'infrastructures comme le port international de Pecém, le développement de l'agriculture irriguée (pour l'exportation de fruits), l'élevage de crevettes et l'explansion des villes qui poussent le long de la côte. Cela créé la pollution et et plus de vulnérabilité aux conditions météorologiques et de l'impact climatique.

Quatre-vingt pour cent des espèces sont surexploitées, avec trop de pêcheurs pour trop peu de poissons. La pêche n’est pas une priorité pour le gouvernement, car elle représente moins de 1% du PIB et génère des revenus d'exportation insignifiants. Il est moins cher de payer les pêcheurs de ne pas pêcher pendant la saison fermée que de faire appliquer des mesures de gestion contre la pêche illégale ou à dépenser des millions pour la collecte de données et de la recherche et du développement. Le ministère de la pêche créé par le Président Lula n'a pas tenu ses promesses aux pêcheurs artisanaux et est sur la liste de clôture de la Présidente Dilma.

MM: Quels sont les défis spécifiques à la promotion de modes de vie durables le long de la côte du Brésil?

RS: Les défis sont nombreux et souvent reliés. Ce sont les aires marines protégées, les réserves pour la pêche artisanale avec cogestion, la garantie des territoires (sur terre et sur mer) pour les populations locales et les familles de pêcheurs, la lutte contre la pêche Illégale Non réglementée et Non déclarée (INN) et l’ÉDUCATION, EDUCATION, EDUCATION. De plus en plus de gens vivent dans les villes et ne connaissent pas la nature d'une manière très directe. Donc, l'éducation de tous et à tous les âges sur la façon de se connecter à la nature et d’acquérir des connaissances et des compétences pour de bons emplois est primordiale.

Les communautés et des ONG ont développé des solutions alternatives d'assainissement par bio-systèmes et de systèmes de désinfection solaire (SODIS) pour l'eau potable. Les communautés sont habilités à chercher des moyens de subsistance alternatifs - le tourisme et l'agro-écologie et de projets de recyclage. Les projets peuvent être facilement adaptés à d'autres régions du pays. Nous savons de par nos contacts avec les communautés de pêcheurs à travers le monde qu'il ya des milliers d'initiatives semblables le long des côtes de l'Afrique, l'Asie et le Proche-Orient.

La pêche de l'homard au Bresil vit ses pires crises de son histoire depuis 60 ans. L’Institut Terramar a contribué à ramener le projet du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) pour une production durable et une consommation au Brésil à travers un changement dans la gestion de la chaîne d'approvisionnement. Avec le soutien du PNUE et d’importateurs américains un programme d'amélioration de la pêche (FIP) et le Marine Stewardship Council est en cours.

Malheureusement, le FIP n'a pas réussi à réduire la pêche illégale, qui se poursuit à son niveau le plus dangereux, car encore 90% des opérateurs utilisent des engins de pêche illégale. Selon la dernière évaluation des stocks cela pourrait conduire à l'effondrement de la pêche. Les pêcheurs artisanaux sont les premiers à ressentir l'impact de la pêche INN dans leurs prises. Outre le soutien du gouvernement fédéral, les artisans pêcheurs revendiquent leur droit de participer à la gestion afin de garantir leur droit d'utilisation de la ressource.

Sur le côté positif, je peux citer l'initiative de CeDePesca, de l'Argentine. Ils travaillent avec les importateurs américains et le bureau de certification Veritas sur un programme de vérification pour une pêche responsable dans la communauté de Redonda, Icapui, dans l'État de Ceará. Nous espérons que le gouvernement reconnaîtra cette initiative comme un moyen d’aller dans la bonne direction.

MM: Que proposez-vous pour protéger la mer de manière plus efficace aux niveaux mondial, régional et national?

RS: Mettons en pratique toutes les bonnes idées discutées durant ces vingt dernières années. En plus de l’action mondiale, nous croyons que nous devons trouver des solutions locales. Nous n’avons pas besoin d'inventer quelque chose de nouveau. Il s’agit juste d’une question de volonté politique des gouvernements et des multinationales. Or, ces "grands acteurs" ont besoin de l'engagement des citoyens pour mettre la machine en marche. Donc, priorisons l’application de la loi, l'arrêt de la pêche INN en refusant l'accès au port et aux marchés aux poissons illégalement pêchés.

MM: Que fait le Brésil dans ce domaine?

RS: En 2004, le Président Lula a créé un Secrétariat spécial pour la pêche et en 2009 le Ministère de la pêche (MPA). Dix ans plus tard, nos pêcheries sont dans une situation pire. La toute nouvelle présidente réélue, Dilma Roussef, a utilisé le Ministère pour du marchandise politique, et ceux qui ont été nommés par le parti ont dépensé des millions pour accroître la pêche au lieu de gérer le problème. Avec cette présidence, la crise politique actuelle, la crise économique et le régime de corruption, nous ne nous attendons pas à des idées audacieuses et des initiatives internationales en provenance du Brésil. Pourquoi n’avoir pas élue comme présidente l'ancienne Ministre de l'environnement, championne du changement climatique, Marina Silva, qui a beaucoup fait pour ralentir la déforestation de l'Amazonie? De toute façon, quelle que soit la tutelle politique, nous devons trouver des approches réalistes pour assurer des moyens de subsistance dignes et durables sur la côte. Le programme de co-gestion de certaines pêcheries introduites en 2004 n'a pas abouti à des résultats en raison d'un manque de participation des parties prenantes et des conflits intergouvernementaux. Les organisations et les acteurs de la société civile sont en train de négocier avec le nouveau Secrétaire des Pêches au MPA pour garantir la participation de tous au processus de prise de décision.

MM: Que pensez-vous sur des récents développements pour la protection des océans dans le cadre des objectifs post-2015 de développement durable qui seront bientôt adoptés par l'Assemblée générale de l'ONU?

RS: C’est un pas dans la bonne direction, mais je suis sceptique quant à la réalisation de progrès rapides dans la mise en œuvre des objectifs de développement durable. J’ai aussi des doutes quant à l’idée que les gouvernements vont parvenir à un accord significatif lors du Sommet sur le climat qui aura lieu à Paris en décembre. Mais ce que je crois est qu’il est possible et nécessaire de continuer à s’engager avec les circonscriptions locales comme nous l'avons fait avec les communautés de pêche côtières.

Si le cadre politique global est positif, il peut nous aider aussi au niveau local. Je me réfère aux  Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté, qui ont été négociées avec le Comité des pêches de la FAO en 2014. Des milliers de membres de la société civile et des représentants des pêcheurs de l'ICSF ont contribué à travers des ateliers, des séminaires et des négociations techniques à la production d’un instrument qui met les intérêts de la pêche artisanale à l’agenda international. Le Plan d'action global doit être mis en œuvre au niveau des pays avec les gouvernements nationaux.

MM: Les écologistes et certains économistes ont également suggéré de fermer complètement une grande partie de la haute mer afin de créer des zones protégées pour non seulement stimuler la résilience de l'océan, pour sa production importante de nourriture, mais aussi ses nombreuses autres fonctions. Quel est votre point de vue suivant votre angle de travail avec les pêcheurs au Brésil?

RS: Tout ce qui peut être fait pour protéger les ressources naturelles dans la mer et sur la terre est la bienvenue et très nécessaire pour que les peuples qui vivent de la nature prospèrent et continuent à prendre soin de l'océan. Nous faisons déjà quelque chose à notre niveau avec des réserves côtières, l'utilisation de bateaux à voile et d'autres pratiques respectueuses de l'environnement. La coalition des ONG et des communautés a mené de nombreuses initiatives locales. Deux réserves marines extractives ont été créées dans l'état de Ceará depuis 2004. La proposition pour une aire marine protégée (AMP) le long de la côte de plus de 120 km a été soumise au gouvernement fédéral. La lenteur dans la mise en œuvre des plans de gestion et le manque de techniciens et de ressources financières entrave le développement des AMP. La Présidente Dilma Roussef a clairement montré au cours de son premier mandat de 4 ans qu'elle est ni un environnementaliste, ni en faveur des AMP.

MM: Quels sont vos points de vue sur la relance de cultures maritimes qui nous aident à vivre plus en harmonie avec la nature?

RS: C’est ce que nous faisons chaque jour. En ce moment, nous préparons une campagne Fierté en partenariat avec RARE pour aider nos pêcheurs à s’adapter à l'évolution des circonstances sans perdre la fierté de leur culture et de leur histoire. La communauté aime ses traditions et festivals malgré Internet et WhatsApp dont les nouvelles générations adorent utiliser et abuser.

Les jeunes veulent rester connectés à leurs traditions et modes de vie, mais ils veulent aussi apprendre d'autres choses et être en mesure de créer et de saisir de nouvelles opportunités. Donc, nous travaillons constamment sur un nouvel équilibre entre les méthodes traditionnelles, les nouvelles exigences et les besoins des jeunes. En utilisant les principes RARE, nous formons les leaders locaux à adopter le changement pour le bénéfice de leurs communautés.

Nos pêcheurs ont toujours utilisé une grande variété de techniques de pêche et la capture de plus de 50 espèces différentes, donc ils sont prêts à s'adapter au changement climatique et à changer les habitudes de pêche sans mettre en péril les ressources.

MM: Quelle est votre plus grand souhait pour l'océan?

RS: Je souhaite que l'Océan du monde entier reste pareil au-delà du temps comme il est encore ici à Prainha do Canto Verde. Venez visiter community tourism experience. pour profiter de notre expérience de tourisme communautaire.

MM: René, merci beaucoup pour avoir partagé vos points de vue et vos expériences inspirantes.