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7. Où nous en sommes avec des ambitions vers des pêches durables?

L’administration des pêches de la République de Guinée, dans ses efforts de gérer durablement ses ressources a mis en place un certain nombre de mesures. Celles–ci le sont dans le cadre de sa politique publique, mais aussi des différents accords conclus avec les pays tiers et autres acteurs du développement durable (Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP), Partenariat Régional pour la conservation des zones côtières et marines en Afrique de l'Ouest (PRCM), Programme Régional de la Pêche en Afrique de l'Ouest de la Banque Mondiale (PRAO), etc.

Mais à l’instar des autres pays de la sous-région, se pose la question de leur mise en œuvre. En effet, comme le démontre une analyse pays par pays de l'efficacité de la surveillance en mer pour contrecarrer la pêche INN industrielle, les pertes économiques annuelles sont dramatiques pour des pays ayant besoin d'investir pour leur développement général et de protéger leurs ressources pour un usage durable (4).

Filets monofilament ouvertement au quaiEntretemps, le filet à monofilament est interdit pour la pêche artisanale, mais bon marché et facile à se procurer. L’usage de cet engin nocif a tendance à se généraliser comme on peut le constater au niveau du port. Cet engin, comme l’attestent certains vieux pêcheurs et quelques femmes impliquées dans le mareyage en frais et le fumage, cause d’importants dégâts en dégradant les écosystèmes marins par peu de sélectivité et par pollution de l'environnement lors des importantes pertes de filets. Les quantités de juvéniles débarquées par ces filets et faisant l’objet de pertes après-capture sont de plus en plus importantes quand on compare avec les années d’avant (voir entretien avec M. Soumah). Selon ce leader charismatique, au-delà des dommages environnementaux engendrés par cet engin avec les captures de juvéniles, il pense que des communautés de pêcheurs doivent avoir intérêt à réduire leur impact pour pouvoir continuer de dépendre des écosystèmes marins.

Pourquoi y a t-il une espèce de status quo entre l'administration halieutique et les acteurs des filières des pêcheries ? Nous avons repérés différentes réponses.

La capacité efficace de surveillance en mer et de poursuite administrative et judiciaire des armateurs et équipages industriels dont les infractions seraient confirmées n'est pas facile à développer et maintenir. Surtout que des administrations en place semblent ne pas être encore bien préparées face à des intérêts économiques importants et des méthodes criminelles très variées telles que présentées récemment lors d'une conférence au Parlement européen sur la criminalité organisée internationale à partir de la pêche.

L’accroissement du nombre de pêcheurs artisans nationaux auxquels s’ajoutent des migrants de plusieurs nationalités de la sous-région avec une tendance à se sédentariser est d’un apport pour le pays, mais pose en même temps un problème pour la durabilité des ressources. C'est d'autant plus le cas dans la mesure où la pêche INN s'ajoute aux prises de la pêche artisanale et agit en concurrence directe avec elle. La surveillance et le contrôle ne sont pas encore faits de manière aussi stricte qu’ils se devraient pour l'ensemble du secteur, y compris la pêche artisanale.

Le déplacement des problèmes des contextes nationaux (niveau de chaque Etat) vers le niveau sous-régional n’est pas la seule solution à envisager. Il est vrai que : « A problème de dimension régionale, solution à caractère régional », mais cette façon de tout ramener à une approche sous-régionale constitue parfois un réel frein à toute recherche de solution, car elle peut dévier l'action de ce qui serait déjà faisable et nécessaire au niveau local et national. L’exemple des organisations de pêcheurs a été souvent cité pour illustrer ces réserves en ce qui concerne une approche sous-régionale tous azimuts. Selon certains de nos interlocuteurs, le transfert de prérogatives qui relevaient avant de leaders traditionnels (à l’échelle communautaire) vers une catégorie de nouveaux leaders des temps modernes parlant au nom de toute une sous-région sans y être toujours bien ancré pose problème. A. Camara, pêcheur à Boulbinet, s’adressant à nous disait: « Vous savez monsieur, aujourd’hui les ONGs écoutent et parlent (à) des gens qui ne sont pas écoutés par la communauté parce que ces derniers ne sont pas délégués par nos communautés. Que voulez-vous ? ». Il faut impérativement tenir compte de ces espaces de pouvoir traditionnel qui continuent encore à faire leur preuve au niveau local (échelle des communautés).

Les pêcheurs, après avoir reconnu qu’ils ont leur part de responsabilité dans l’état actuel de crise des ressources et qu’il serait du grand intérêt pour leurs communautés, ont cité quelques facteurs n’ayant pas favorisé au renversement de cette tendance, dont:

  • La difficulté qu’ont certains leaders pêcheurs - conscients de la situation et prêts à bouger – à convaincre leur communauté de pêche à changer quand de l’autre côté on laisse les mains libres à la pêche industrielle pour faire ce qu’elle veut. Avec plus de transparence dans les pratiques de pêche industrielle et de renforcement de l'application des règlementations en vigueur, cela pourrait aider à faire bouger les choses du côté de la pêche artisanale aussi.

  • Le marché c’est le pouvoir de l’argent et tant que la demande de poisson augmente dans des pays riches, la pression va continuer sur nos ressources et avec des administrations (pour des pays pauvres) n’ayant pas assez de moyens (ressources humaines, institutions fortes, capacité d'investissement et de gouvernance). Aussi, le pouvoir de négociation et la force de coercition requise de l'administration font encore défaut face aux armateurs.

  • Il est temps d’intervenir sur le renforcement des administrations compétentes pour qu'elles fassent leur travail de supprimer plus efficacement la pêche INN.

  • Il peut y avoir aussi un rôle pour les consommateurs de poisson notamment dans les pays riches et émergents. Des actions de sensibilisation sur les effets de leur appétit sur nos écosystèmes et les populations à faible revenu qui n’ont que le poisson pour les besoins en protéines animales pourraient aider à ralentir la croissance de la demande. Des labels sérieux de pêche durable et à faible impact pourraient aider dans une conscientisation des achats.

En rentrant au Sénégal, la tête tourne encore après avoir été confronté avec autant de changements depuis la dernière visite. En même temps, les problèmes repérés ne sont pas fondamentalement différents de ceux rencontrés au Sénégal. Dans les débarcadères importants de la pêche artisanale on trouve de plus en plus de pêcheurs qui ont leur attache principale dans un autre village ou pays, mais qui viennent pour une campagne ou se sédentarisent même. L'idée d'une académie de la pêche artisanale comme lieu d'échange et de recherche commune pour approfondir la compréhension des problématiques et l'exploration de voies de sortie souhaitables et faisables paraît plus opportune que jamais, voir nécessaire.

Texte et photos sont d'Aliou Sall (sauf indication contraire).

(4) Doumbouya A, Camara OT, Mamie J, Intchama JF, Jarra A, Ceesay S, Guèye A, Ndiaye D, Beibou E, Padilla A and Belhabib D (2017). Assessing the Effectiveness of Monitoring Control and Surveillance of Illegal Fishing: The Case of West Africa. Front. Mar. Sci., 4:50. doi: 10.3389/fmars.2017.00050

Le profil du pays se trouve sur le site de la Commission Sous-Régionale des Pêches, alors que les derniers résultats de la recherche halieutique relative aux captures depuis 1950 se trouvent ici.