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Nos valeurs influencent les règles dans nos communautés

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Cela ressemble à un truisme, mais l'évolution des valeurs et des revendications concurrentes pour l'établissement des règles affectent la vie quotidienne et les décisions dans les communautés de pêche de manière très réelle. Ceci est aggravé par des situations de crise ou de prèsque-crise en relation à la ressource, à l'urbanisation et les conditions de l'espace de vie, ainsi que les difficultés à investir également dans des nouveaux moyens de subsistance alternatifs lorsque les conditions économiques se dégradent.

 

L'équipe Mare Nostrum, composée de Carla Zickfeld, coordonnatrice MN, Aliou Sall, coordonnateur local, et Stefan Karkow, documentaliste, a travaillé en octobre 2011 dans quatre villages de pêche: à savoir à Hann, à Yoff, à Kayar et à Saint-Louis.

Cette fois, le centre d'attention dans les villages était la collecte d'informations au sujet des systèmes de croyances et des valeurs des communautés, tels qu'ils sont vécus par les hommes et les femmes, qui y vivent. En particulier, les entretiens résumées dans les courts rapports suivants font ressortir le rôle du sacré dans l'organisation de la communauté de vie et comment cela affecte leur relation avec les ressources marines et aux règles publiques et la politique.

Une deuxième ligne de travail impliquait la planification des activités futures en vue de partager les défis des communautés de pêcheurs avec des universitaires et des praticiens de l'extérieur à la recherche de réponses robustes à ces défis. Ici, l'éducation esthétique et pratique la solidarité internationale constituent la base de la planification. Dans ce contexte, l'Institut Goethe de Dakar a accepté d'être un partenaire dans l'organisation d'une conférence internationale multipartite en mai ou juin 2012, lors de la prochaine Biennale Dak'Art 2012. Une exposition de photos de Stefan Karkow devraient faire partie du programme de la conférence et l'artiste sénégalais bien connu, Sambalaye DIOP, a accepté le rôle du commissaire de l'exposition d'artistes contemporains sur le symbolisme de la mer. Une manifestation culturelle est prévue sur «le patrimoine culturel des communautés de pêcheurs traditionnels» avec des danses, des chants et de la poésie des gens de la mer.

Toutes les photos dans cette section sont de S. Karkow.

 


Comment cela nous inspire

Une réelle prise en compte du pouvoir coutumier dans les Politiques publiques pourrait peut être contribuer à une gestion durable des ressources halieutiques

 

Dans les communautés traditionnelles, la dichotomie entre pouvoir moderne et pouvoir coutumier ne relevait que du mythe. Selon Boucar FALL, dans le passé, les autorités publiques se sont toujours appuyées sur le pouvoir coutumier pour la gestion des conflits entre citoyens, que ce soit dans le domaine des conflits en général ou celui de la répartition et de la gestion collective des ressources naturelles. Le chef traditionnel tient à illustrer cela à partir de quelques exemples, pas de manière exhaustive, certes.

Premièrement, malgré l’existence de tribunaux, des brigades de gendarmerie et de police très compétentes dans leur domaine, les conflits opposant des habitants de Hann, ont toujours été réglés à l’échelle du village, dans la cour du chef de village, responsabilité qu’assume Boucar FALL, qu’il a hérité de son père, feu Babacar FALL. Toujours selon M. FALL, à chaque fois qu’un habitant de Hann portait plainte contre un autre pour un différent au niveau de la gendarmerie ou de la police, il est renvoyé sans attendre par les hommes en tenue au chef de village, en vue d'une solution locale.

Deuxièmement, continue le chef traditionnel, les autorités coutumières étaient traditionnellement et fortement impliquées dans l’organisation de l’exploitation des ressources naturelles. Pour la pêche par exemple, aussi bien continentale que maritime, dans chaque zone de pêche, résidait un chef local des pêches qui était en général et en même temps chef de village ou de la communauté (surtout quand il s’agit d’un campement de migrants). Ce dernier a toujours été à la tête des instances communautaires locales qui se chargeaient des questions aussi concrètes et relatives (i) à la façon dont le littoral doit être occupé par les usagers; et (ii) aux arrangements informels institutionnalisés concernant la régulation pour l’accès aux ressources avec la pratique bien connue du littoral sénégalais qui voyaient les pêcheurs mettre en place les systèmes d’accès rotatifs aux ressources.

 

D’après notre interlocuteur, ce rôle du pouvoir coutumier dans le règlement des conflits n’est pas nouveau et par conséquent contemporain avec l’état moderne. Il rappelle quelques faits très marquants pour appuyer ses propos à savoir que (i) pendant l’époque coloniale, les autorités françaises en poste n’entraient jamais dans le village sans aviser au préalable le chef de village de l’époque Boubacar Ndiongue, originaire du Walo et fondateur du village de Hann-Pêcheurs, parce que fondateur du premier quartier de cette communauté de pêcheurs appelée aujourd’hui Waloga; partie intégrante d’un village qui a connu une expansion. Ces mécanismes sociaux villageois de régulation, qui coexistaient avec les règles conventionnelles étatiques, sont de moins prises en compte par le monde moderne et ont créé une situation inverse: un conflit de compétence entre la Loi et ce que les communautés traditionnelles considèrent comme leurs Droits.

 

Ce conflit de compétences explique (même s'il ne justifie pas) la réticence des populations de pêcheurs face aux différents instruments techniques et juridiques (Code étatique de la pêche, différents outils de la FAO, etc.), mis en place par les autorités publiques en vue d'une gestion durable des ressources. Le manque d’adhésion pleine à ces mesures – accordant des perspectives futures pour la gestion durable des ressources - de la part des populations, pourtant victimes de la crise de la ressource avec une part de responsabilité qui leur incombe, relève en grande partie de la crise d’un certain équilibre entre modernité et tradition dans le domaine précis de la cogestion des ressources. Cette crise d'équilibre se manifeste avec de nouvelles instances imposées depuis le haut, au nom de la cogestion, qui est devenu la mode.

Ces nouvelles instances encouragées par un phénomène plus ou moins récent, qui est la décentralisation, tend progressivement à vouloir se substituer aux instances traditionnelles de régulation. Les résultats vont se manifester dans l'agencement entre les différentes sources de valeurs et des façons de régler les relations et conflits ainsi que de leur capacité de s'imposer dans la pratique.

Epouse de Boucar Fall, marabout des pêcheurs de Hann-Pêcheurs, SénégalMembres de la famille devant la maison de Boucar Fall, marabout des pêcheurs de Hann-Pêcheurs, SénégalBoucar Fall devant sa maison en conversation animée avec Ibrahima Niang, après la prière, Hann-Pêcheurs, Sénégal

 

 

Nos impressions : Une survivance et une vivacité du sacré, entretenues de manière inconsciente par la communauté de pêcheurs

Bacar FALL est pêcheur et président du Groupement d’intérêt économique (GIE) chargé de la gestion du quai de débarquement de Hann-Pêcheurs. Dans le cadre de la présente mission, qui se focalise sur le «sacré » et comment les pêcheurs eux-mêmes le vivent, nous nous sommes entretenus avec lui. Les différents éléments clés sortis de notre entretien avec ce pêcheur peuvent être résumés en trois points.

 

  • D’abord, il a beaucoup insisté sur le fait que les pratiques du sacré ont changé de forme avec les contraintes de l’environnement actuel dans lequel vit la communauté. Ceci est lié au fait que l’urbanisation n’autorise plus certaines pratiques, avec la promiscuité et la pression démographique, qui affectent l’intimité entre l’homme et la nature.

  • Ensuite, il a reconnu que l’islamisation des communautés de pêcheurs, qui a beaucoup impacté sur les pratiques animistes, est un phénomène récent si on le replace dans la trajectoire de ces peuples de la Mer.

  • Enfin, il reste convaincu que, non seulement les pratiques animistes sont sous la menace de disparaître avec les nouvelles générations présentes et à venir, mais aussi que dans leur environnement actuel, ces pratiques relèvent aujourd’hui du passé. Il met cela à l’actif de l’islamisation de sa communauté qui bannit toute pratique combinée d’une religion monothéiste avec l’animisme.

 

 

 

 

 

C’est ce dernier point qui constitue l’un des éléments, qui a le plus attiré notre attention, surtout quand nous le mettons en parallèle avec des pratiques encore en cours dans la communauté de Hann-Pêcheurs. En effet, si Hann compte beaucoup de mosquées comme à l’instar des autres communautés – montrant à quel point l’islam y est la religion dominante – la façon dont les pirogues sont truffées de talismans pour la sécurité des pêcheurs et de leurs biens matériels dénotent d’une croyance encore bien ancrée dans les esprits en des forces surnaturelles, qui commandent à leur bien être et à leur sécurité. A ces pratiques, il faudra d’ailleurs ajouter les dépenses effectuées par les pêcheurs lors des consultations auprès des marabouts, qui sont censés bénir leur sortie de pêche.

Regardez la courte vidéo avec partie de l'entretien avec Bacar Fall.

 


Rôle des femmes pour sa perpétuité contre vents et marées dans des communautés fortement islamisées

 

Nous avons effectué une visite à la famille de Khady FALL dite « Séla » pour une session spéciale dont le but est de recueillir l’avis simultané de trois femmes appartenant à trois générations concernant la pratique du sacré. Nous avons ainsi rencontré Khady FALL, sa mère Coura DIOP et sa fille Fatou SARR, dans leur concession au village de Hann-Pêcheurs.

Comme nous avons pu le souligner dans quelques uns de nos rapports précédents, Hann-Pêcheurs est fortement marqué par l’importance de la franche de sa population qui est de religion musulmane. La présence de l’Islam a eu un impact sur les pratiques animistes à tel point que, les hommes, drapés quotidiennement dans leur boubou, chapelet en main, ont de la peine à reconnaître que la pratique du sacré est encore présente chez eux. Il faut aussi comprendre leur attitude dans la mesure où l’Islam condamne cette pratique animiste, qui correspond à la croyance en un Pouvoir surnaturel autre que Dieu.

Mais parallèlement à cette position des hommes, qui attestent et signent le fait que la pratique du sacré n’est plus en cours, l’entretien avec ces trois générations de femmes montre en quoi ces dernières croient encore fermement à ces réalités. S’il est vrai que les formes d’expression de ces croyances peuvent varier d’une génération à l’autre, il subsiste une constance : le sacré non seulement fait partie intégrante de leur vie, mais aussi leur assure sécurité physique et assurance pour leurs moyens d’existence en tant qu’êtres humains aux besoins multiples. En effet, devant nous trois personnes de trois générations expriment leur attachement à la chose sacrée des façons suivantes :

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    Une grand-mère, Coura DIOP, qui illustre à travers des exemples, les pratiques sacrées et les effets positifs palpables chez les personnes qui respectent ces croyances. Elle met en parallèle la rupture de certains jeunes avec ces pratiques et certaines malédictions qu’ils vivent;
  • Khady FALL, qui confirme le fait que dans leur travail, ces pratiques sont encore en cours dans la mesure où, les femmes de sa génération continuent à faire recours à des prières de la part de personnes connues pour un certain pouvoir qu’elles détiennent : recours à des personnes dépositaires des connaissances magiques pour la réussite dans le travail ou se prémunir d’un mauvais sort. Donc pour elle, les femmes de sa génération sont acquises à cette cause. Elle est plus préoccupée pour les générations futures, trop exposées aux effets potentiels de la globalisation, surtout avec les nouvelles technologies de communication;

  • Enfin, Fatou SARR la fille de Khady, âgé de 36 ans, qui à deux enfants, adopte une attitude qui démontre, qu’elle n’a pas remis en cause ces croyances si bien ancrées dans les familles de pêcheurs. En effet, tout en étant une fille, qui profite pleinement des avantages de la modernité (utilisation des réseaux sociaux pour communiquer avec des personnes de sa génération) elle partage fortement le fait que, pour les jeunes générations: « remettre en cause la tradition y comprise la croyance au sacré, pourrait comporter des dangers  pour la nouvelle génération ». Elle insiste sur le fait que, tout n’est pas à prendre dans la modernité.

Ces positions extrêmement claires sur le sacré de la part des femmes, montrent à quel point, elles assurent la perpétuité des modes de penser et d’agir dans les sociétés en général. Il faut d’ailleurs rappeler que l’initiation des jeunes au sacré dès le plus jeune âge, est assurée par les femmes, comme nous l’avons constaté partout ailleurs : à Kayar, à Yoff et à Saint Louis.

 


Ousmane Diouf nous fait découvrir un de leur rôles encore méconnu

Porte-voix des esprits envers la communauté ou émissaire de la Prêtresse à Yoff auprès du sacré

S’il est vrai que le griot est un élément clé de la société, il assume des rôles d’importance capitale, encore peu connu du commun des mortels.

En effet, il est reconnu, que les griots ont toujours été poètes, philosophes, médiateurs dans les conflits et conseillers des hommes au pouvoir, y compris déjà dans les royaumes anciens.

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais notre mission, qui accorde une primauté à la dimension du « sacré », a été une excellente occasion d’apprécier un autre rôle, extrêmement délicat, du griot.

Celui-ci nous rappelle d’ailleurs et par analogie, la fonction complexe de certaines personnes même dans l’administration moderne contemporaine.

Il en est ainsi, en tout cas dans le contexte ouest africain, du Préfet dont on ne sait s’il représente l’Etat auprès des populations ou l’inverse.

 

 

 

 

 

 

Le Ndoep commence par une séance d’incantation qui se passe la veille du premier jour de la pratique effective de cette danse thérapeutique.

Ce premier jour est la clé de tout le temps que va durer cette pratique ancienne dans la mesure où, il s’agit non seulement de demander l’autorisation de faire le Ndoep auprès des Esprits, mais aussi de les inviter à être présents parmi la population, afin de libérer les malades de ce qui les empêche de recouvrer leur état de santé initial.

 
 
 
 
 
 

 

L’acceptation des Esprits, qui ont la clé des remèdes et par conséquent dont dépend la réussite du Ndoep, est fonction de la capacité du Griot spécialisé en musique sacrée (fonction transmise par hérédité) et à travers des incantations, à communiquer le bon message et à entrer en parfaite communion avec ces esprits.

 

 

 

 
 

 

 

Le Griot est donc le trait d’union, qui seul peut décoder le message transmis par la Prêtresse pour le transmettre aux Esprits.

Mais aussi, à travers la musique sacrée, il est le seul à pouvoir assurer la communication entre ces Esprits et la communauté.

En effet, les incantations du griot et chaque rythme joué par le griot pour la préparation et pendant le Ndoep, correspondent à un esprit bien déterminé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il serait d’ailleurs important de rappeler que la communauté Lébou est reliée à plusieurs esprits dont certains sont localisés, d’après elle dans d’autres communautés littorales, bien loin de Yoff, telles que Rufisque.

Mais il s’agit toujours de communautés Lébou dépendant traditionnellement de la pêche.