Au début du débat"La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont physiquement, socialement et économiquement parlant et à tout moment, un accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels en tenant compte de leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active." Telle est la définition donnée à ce concept à l'occasion du Sommet mondial de l'alimentation de la FAO en novembre 1996.

Nous produisons à l’échelle mondiale assez de nourriture pour bien nourrir tout le monde, pendant que, d’après les Statistiques mondiales de la faim de la Fondation pour l’aide alimentaire, près de 800 millions de personnes souffrent de sous-alimentation dans le monde. Ce chiffre est en baisse relatif à près d'un milliard de personnes sous-alimentées il y a seulement quelques années. Cependant, clla signifie qu'une personne sur neuf de la population humaine mondiale n'a pas assez de nourriture pour mener une vie saine et active.

De l'autre côté de la fracture économique, entre 30 et 40 % des aliments produits et achetés dans les pays industrialisés sont gaspillés, jamais consommés et rejetés! En d'autres termes, nous n'avons pas principalement de problèmes de production mais plutôt de distribution et d'accès.

Stella Williams du Nigeria, Aliou Sall du Sénégal et Cornelia Nauen de Belgique/Allemagne ont été les personnes ressources conviées pour un déjeuner-débat à l'Hollands Collège de la KU Louvain animée par Patricia Morales. La conversation a permis d’illustrer comment cela se traduisait de manière concrète dans certains pays africains.

Des exemples spécifiques au Nigeria ont montré comment le faible statut social des filles et des femmes et leur faible l'éducation formelle dans le nord du pays sont des obstacles majeurs à la sécurité alimentaire des familles - et en particulier les femmes et les filles dans les familles

Pas d'espace pour enseigner des filles - région de Kaduna, nord du NigeriaCes exemples se basent sur les récents travaux menés en janvier 2018 par Pr. Williams dans les Etats de Kaduna et Lagos au Nigeria. La situation a fait l’objet de discussions dans le contexte plus large des relations entre les différents Objectifs du Développement Durable (ODD). Un accent a été mis lors de ces échanges sur les progrès à réaliser en ce qui concerne de manière spécifique l'éducation des filles et des femmes de même de la nécessité à assurer de meilleurs services de santé et les moyens de subsistance. Cela se fera en promouvant sans relâche l'égalité entre les sexes afin d’atteindre le double objectif « zéro faim » (ODD2) et la sécurité alimentaire en lien étroit avec l'ODD 1, dont l’objectif est d’éliminer la pauvreté. Ceci fut soulevé également et de manière récente par l'ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan dans la revue Nature.

L’autre exemple, moins dramatique, concerne des travaux de terrain menés en Guinée par le Dr Sall, où des entrevues avec des acteurs (hommes et femmes) de la pêche artisanale locale fournissent des indications sur la façon dont les effets de la mondialisation des marchés des produits de la pêche risquent de nuire à la sécurité alimentaire et l'abondance de l'offre, précédemment sous contrôle local.

L'investissement massif de la part de Chinois, Coréens et Libanais a non seulement engendré une hausse des prix due à la concurrence, mais a affecté aussi l'organisation sociale dans l'industrie de la pêche. Cette situation a désavantagé les femmes par rapport à des rôles antérieurs qui leur étaient assignés traditionnellement, en tant qu’entrepreneurs indépendantes qui doivent dorénavant faire face à des risques de perte de leur revenus; alors que ces revenus tirés de la pêche leur permettent de nourrir l'ensemble de leur famille et aussi leurs fournissent les éléments essentiels dont un ménage a besoin. Les exportations massives de poissons à grande valeur commerciale de la part de ces investisseurs posent un problème d’approvisionnement du marché local. Ainsi les consommateurs locaux achètent déjà moins (niveau quantité) et des morceaux plus petits, parce qu'ils ne peuvent pas se permettre de quantités majeurs des espèces de poissons de leur choix (problème de la qualité). Pour l'instant, ils se contentent des petits pélagiques encore accessibles et de bonne qualité alimentaire, de moindre valeur commerciale, mais ne correspondant pas à leur préférence et habitude culinaire.

Des femmes achetant du poisson pour la revente au port de Boulbinet, Guinée (Photo A. Sall)Tout cela a une incidence sur la sécurité alimentaire, bien qu'il serait inexact d'assimiler la baisse des débarquements pour la consommation locale automatiquement avec l'insécurité alimentaire. La hausse des prix pour les consommateurs et la remise en cause de l’important rôle entrepreneurial pour les femmes engendrent cependant de nouvelles pressions à leur détriment. Ceci est lié au fait qu’il n’est pas du tout clair que leur perte de pouvoir d’achat dans la pêche puisse être compensée dans d’autres domaines.

Un des participants au débat a soutenu l’idée de faire recours à l’approche « social marketing » afin de sensibiliser le public sur le sort des récifs coralliens qui pourraient disparaître d'ici le milieu du siècle, d’après la plupart des scénarios du réchauffement des océans et du changement climatique. Cela non seulement mettrait en danger les écosystèmes les plus productifs de la Terre, mais aussi aurait de graves conséquences sur la production alimentaire parmi tant d’autres impacts négatifs.

Le débat a débouché sur des arguments de part et d’autre sur des appels incitatifs et moralisant, des règles plus strictes et leur application, de même que des effets à plus long terme (perspectives futures) de l'éducation, sans oublier les mesures pratiques à notre portée ici et maintenant.

La tâche est immense, à l'instar des autres grands défis de notre temps: comment mettre fin aux habitudes et comportements non durables des êtres humains? Comment reconnecter l'homme avec la nature et le système de survie de la Terre, en particulier dans les pays industrialisés où on assiste à une surexploitation des ressources renouvelables? Éviter de vivre au-dessus de nos moyens peut toujours faire une différence dans un pays riche comparé à un autre où même les besoins fondamentaux des populations, tels que la sécurité alimentaire, ne sont pas encore satisfaits. Voilà tout à fait un mélange grisant qui mérite d'être suivi de près et plus en avant dans l'avenir.

Mundus maris remercie Bart Pattijn et Jelle Zeedijk, respectivement directeur et secrétaire du Centre pour l'éthique, pour l'aimable l’accueil.