En collaboration avec ULB-Coopération, Aliou Sall de Mundus maris a assuré un cours libre aux étudiants en master de Pr Nathalie Gypens intéressés à comprendre les multiples fonctions / rôles de différents écosystèmes aussi bien du milieu aquatique que terrestre et agricole d’une part, et comment ceux-ci peuvent être gérés de manière durable de l'autre. L’attention portait sur la dépendance des communautés de pêche artisanale sur les services rendus par les écosystèmes pour leurs moyens d’existence et les différents défis auxquels ils doivent faire face.

Ce cours de Master est ouvert à des étudiants aux parcours très différents et vise à leur donner une vue d’ensemble plutôt qu’une profonde analyse d’écosystèmes spécifiques ou de modèles de gestion. C’est ainsi qu’Aliou Sall a entamé en faisant un bref rappel sur l’origine de l’intérêt scientifique accordé aux écosystèmes marins, mettant en relief pour une première fois la signification des chaînes ou plutôt les réseaux alimentaires en milieu marin, expliquant ainsi ce que signifient les niveaux trophiques.

Par la suite, il a alors mis en évidence quelques caractéristiques et fonctions clés des deux écosystèmes marins majeurs dans les pays africains de la partie Nord-Ouest du continent, coopérant dans le cadre de la Commission Sous Régionale des Pêches (CSRP), à savoir : la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, le Cap-Vert, la Guinée Bissau, la Guinée et la Sierra Leone

En se tournant vers les services que ces écosystèmes fournissent, il s'est concentré principalement sur les multiples services qu’ils rendent aux centaines de milliers de gens gravitant autour de la pêche artisanale (commerciale) avec beaucoup d’emplois créés dont certains annexes aux activités principales de capture, des opportunités à faire des affaires et enfin des consommateurs de produits fumés, séchés ou fermentés commercialisés à l’échelle de la région du Sahel et un peu plus au Sud à l’intérieur des terres.

Des pirogues rentrent ° Guet Ndar, St. Louis, Sénégal après avoir débarqué leur captures (Photo A. Sall)Face à l'âpre concurrence de flottes industrielles, les artisans de la mer voient leur avenir mis en danger à cause du fait que de beaucoup d'opérations pratiquées par la pêche industrielle sont illégales et jamais même enregistrées dans les statistiques officielles de services nationaux démunis des moyens requis pour ce travail.

Une recherche menée de manière indépendante a estimé que le pourcentage des captures réalisées de manière illégale, non règlementée et non autorisée est équivalent à prèsque la moitié des captures totales. La partie officiellement enregistrée des prises est divisée approximativement également entre pêcheurs artisans et industriels.

La pression excessive de pêche a engendré de sérieux changements au niveau de la structure et du fonctionnement de l’écosystème à partir du moment où les espèces à haute valeur commerciale et abondantes avant, sont de nos jours commercialement éteintes. Les espèces invertébrées devenues plus abondantes à cause de la surpêche des poissons sont maintenant à leur tour surexploitées.

Les espèces de poissons qui ont le mieux résisté à cette pression de pêche sont celles appelées petits pélagiques tels que le maquereau, le chinchard, la sardine, la sardinelle ronde et plate et l’ethmalose, communément appelé « bonga » dans cette région.

Celles-ci - leur abondance aussi – dépendent de l’abondance en nutriments riches dans le phénomène appelé « upwelling » qui est une remontée d’eau des fonds vers la surface des océans. C’est à travers ce phénomène naturel, que la nourriture de base de ces espèces pélagiques composée de micro –algues, zooplancton est produite, impactant ainsi sur leur saisonnalité. Le réchauffement des mers a eu des effets sur la répartition spatiale de ces stocks de petits pélagiques caractérisées par une courte durée de vie et accentue les changements observés dans la structure des captures mais aussi leur accessibilité. Ceci accentue la nature aléatoire, caractéristique du métier de pêcheur artisan.

Femmes transformatrices de poisson à Guet Ndar, St Louis, Sénégal (photo A. Sall)La réponse donnée par les pêcheurs face à ces contraintes consiste à augmenter l’effort en innovant sous plusieurs formes : augmentation de la taille des pirogues avec l’utilisation de moteur hors-bord devenant de plus en plus puissants. Ce contexte changeant a nécessité de la part des pêcheurs quelques mesures de précaution contre les accidents en mer avec l’introduction de nouveaux instruments de bord : gps, gilets de sauvetage, téléphones mobiles, etc…

Côté terrestre, particulièrement dans les domaines du traitement et de la commercialisation du poisson à travers les circuits traditionnels de distribution (national, sous régional) les activités sont contrôlées en dominantes par les femmes. Au contraire, pour ce qui est des activités post captures destinées aux exportations, elles sont plutôt dominées par des entreprises industrielles étrangères.

Les femmes aussi innovent au mieux à leur tour. Dès qu’elles se sentent en mesure de faire des investissements plus importants, elles n’hésitent pas à adopter des fours moins consommateurs de bois et à même d’assurer des conditions de travail plus acceptables. Elles mettent en place des groupes afin de (i) mobiliser de l’épargne entre elles (tontines), leur permettant d’assurer un accès aux produits, en raison des prix élevés des matières premières (ii) réunir les conditions / normes d’hygiène requises pour les produits et enfin (iii) se battre pour sécuriser un droit à s’installer sur l’espace littoral en vue d’exercer librement leurs activités.

Dans un environnement aussi changeant et de manière dynamique, les gouvernements, soutenus par un projet régional de la Banque mondiale (PRAO), essayent d'ajuster des politiques publiques aux niveaux national et sous régional en vue d’une limitation de l'effort de pêche et la réduction de la surpêche. Malheureusement, ces efforts n'ont pas encore profité de suffisamment de travaux de recherche et d’une réelle consultation qui porterait sur des systèmes traditionnels préexistants de gestion, antérieurs à ces initiatives formelles en cours.

Les Conseils Locaux de Pêche Artisanale (CLPA) mis en place dans le cadre du projet conjoint Banque mondiale – l'Etat du Sénégal jouissent de toute la légalité et la reconnaissance officielle de la part des institutions publiques étatiques mais n’ont pas toujours la légitimité requise auprès des communautés (pêcheurs et femmes de la pêche) où ils sont installés. Ce manque de légitimité accentue à son tour la crise d’autorité (faiblesse constatée de la force de coercition) qui constitue une réelle contrainte à la mise en œuvre des réformes qui s’imposent.

On assiste actuellement à une impasse caractérisée et entretenue par des pêcheurs artisans adoptant des comportements défiants face à des mesures légales, administratives telle la résistance face à l’obligation de payer un droit d’accès et l’immatriculation des pirogues d’une part ; des pratiques illégales à large échelle de la part de la pêche industrielle de l’autre. Ces pratiques ont impacté de manière négative sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes.

Il s’agit de voir comment désamorcer ce processus dans un contexte potentiellement explosif. Il aura certainement besoin d’une meilleure surveillance marine contre la pêche illégale qui va de pair avec des mauvaises pratiques telles que la corruption, la fraude et d’autres pratiques criminelles.

La réhabilitation de l’autorité des institutions publiques et celle détenue par des instances traditionnelles dont les prérogatives avaient toujours porté sur la gestion sociale des resources serait d’un grand intérêt. Le fait de rétablir la confiance entre l’administration et les pêcheurs, mais aussi de répondre à leur demande à partager les résultats de la recherche spécifiques au fonctionnement des écosystèmes sont d’autres étapes importantes à franchir dans cette démarche.

Mundus maris a l'intention de commencer à offrir un tel accès aux informations scientifiques (résultats de la recherche), contribuant ainsi à favoriser une confiance mutuelle entre la recherche et ces communautés dans le cadre de l’académie de la pêche artisanale qui est d'abord un espace d’échanges (pas tellement physique en terme d’édifice). Toute idée ou aide pouvant aidant à la réalisation de cette initiative est la bienvenue.

Les transparences ptt du cours sont disponibles ici.

Lecture supplémentaire:

Belhabib, D., Harper, S., Zeller, D., Pauly, D. (eds.), 2012. Marine fisheries catches in West Africa, 1950–2010. Fish.Centre Res.Rep., vol. 20.  and updates by country.

Bonfil, R., Munro, G., Sumaila, U.R., Valtysson, H., Wright, M., Pitcher, T., Preikshot, D., Haggan, N., Pauly, D., 1998. Impacts of distant water fleets: an ecological, economic and social assessment. WWF International 11–111.

European Commission, 2005. Rebuilding our marine ecosystems, protecting our future. Key findings of the International Symposium on Marine Fisheries, Ecosystems and Societies in West Africa – Half a century of change, Dakar, Senegal, 24-28 June 2002. Luxembourg: Office for Official Publications of the European Communities, 20p. ISBN 92-894-9166-3 Click here

Le texte et les images sont de Cornelia E Nauen sauf si indiqué autrement.