La surexploitation des ressources halieutiques marines de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest depuis plusieurs décennies est l’un des principaux moteurs de l’immigration clandestine vers l’Europe via des routes mortelles traversant l’Atlantique, la Méditerranée et le détroit de Gibraltar.
Dans un nouvel article publié dans les Actes de l’Institut d’études avancées de Paris, une équipe internationale de chercheurs décrit l’incompatibilité des intérêts qui, depuis des décennies, perturbe le secteur de la pêche au Sénégal, pille les ressources marines du pays et pousse des milliers de personnes à chercher une vie meilleure en Europe, pour finalement trouver la mort en chemin.
Rien qu’en 2024, plus de 10 000 personnes ayant quitté les côtes africaines ont trouvé la mort alors qu’elles tentaient de rejoindre les pays de l’Union européenne. Parmi elles, 2 000 personnes ont emprunté la route Sénégal-Gambie, selon l’ONG Caminando Fronteras.

Captures effectuées par différents pays dans la ZEE sénégalaise, lissées par une moyenne glissante (sur trois ans) afin de mieux mettre en évidence les tendances. La catégorie « Autres pays » comprend la France, l’Italie et d’autres pays de l’UE, mais tous avec des captures bien inférieures à celles de l’Espagne.
« Au Sénégal et dans les pays voisins, les petits poissons pélagiques tels que les sardines se font désormais rares, et ceux qui restent sont principalement détournés vers les usines de farine de poisson. Ces poissons approvisionnaient auparavant les consommateurs locaux à faibles revenus. Les poissons et invertébrés de grande valeur sont également en déclin et ont tendance à être exportés par des opérateurs étrangers », a déclaré le Dr Daniel Pauly, auteur principal de l’étude et directeur de l’initiative Sea Around Us de l’Université de Colombie-Britannique.
La surexploitation des ressources halieutiques du Sénégal a commencé à se faire sentir dans les années 1990. Après trois décennies de pêche intensive dans ses eaux par des navires européens à forte capacité, la Chine a fait son entrée dans la région dans les années 1980. Pendant ce temps, les bateaux traditionnels sénégalais exploités par des familles, ou pirogues, ont ont été modernisées afin de maintenir leurs captures face à la concurrence croissante des flottes étrangères hauturières.
La modernisation des pirogues a consisté à ajouter des moteurs et des glacières, à utiliser des filets en nylon et des sennes coulissantes, et à embarquer des équipages de plus de 20 pêcheurs. Ils ont ainsi pu capturer davantage de poissons de fond et de petits poissons, tels que les sardines, qu’ils avaient l’habitude de pêcher, et se sont mis à cibler des espèces de grande valeur comme les crevettes, le thon, le poulpe et le calmar, également capturés par des bateaux étrangers.

Par Marie Vicat sur Pixabay
« Le Sénégal a connu un pic de captures dans les années 1990, avec plus d’un million de tonnes de poissons capturés par an en moyenne. Ce chiffre a diminué de moitié ces dernières années », a déclaré le Dr Pauly. « Dans notre article, nous avons analysé la trajectoire de la population de la sardinelle plate et avons constaté que cette espèce, sous-exploitée dans les années 1950, est devenue surexploitée dans les années 2010 et continue de l’être. Nous avons également examiné 10 autres espèces, telles que la sardinelle ronde, le maquereau espagnol, et le chinchard cunène, et avons constaté que la plupart ont une biomasse faible à très faible. »
Près de la moitié des captures effectuées dans la zone économique exclusive (ZEE) du Sénégal ont été réalisées par des flottes de pêche hauturière au cours des sept dernières décennies, ce qui est supérieur à la moyenne de 40 % pour l’ensemble de l’Afrique.
Outre la surpêche, le changement climatique entraîne la disparition de certaines espèces, telles que les sardinelles, qui ont commencé à migrer vers le nord, car les eaux du Sénégal et des pays voisins sont devenues trop chaudes pour leur survie.
« La diminution des ressources a entraîné une concurrence intense entre les flottes locales et étrangères. Les capitaux étrangers ont fini par absorber la majeure partie des retombées économiques, laissant les familles sénégalaises propriétaires de bateaux dans une situation précaire », a déclaré le Dr Cornelia Nauen, co-auteure de l’étude et présidente de l’association à but non lucratif Mundus maris. « La baisse des revenus économiques a conduit les familles propriétaires de bateaux à réduire le recours aux membres d’équipage. Les femmes de ces familles, qui avaient autrefois des revenus confortables et une grande influence en matière de gestion, ont fini par devenir des indigentes ou des ouvrières d’usine. Cette situation, combinée aux difficultés persistantes dans la mise en œuvre de stratégies de gouvernance marin ermettant la reconstitution des stocks halieutiques, a fait de l’émigration une option envisagée par un nombre croissant de familles. »
Mme Khady SARR appartient à une famille traditionnelle de pêcheurs de Hann, au Sénégal ; ici lors d’un entretien
Alors que dans les années 1980, les pêcheurs et les capitaines de bateaux aidaient les migrants principalement issus de régions agricoles touchées par la sécheresse à effectuer la dangereuse traversée de l’océan vers les îles Canaries et d’autres ports de l’UE, aujourd’hui, de nombreux pêcheurs entreprennent eux-mêmes ce périple.
« De plus en plus, les nombreuses arrivées en Europe et les pertes de vies en mer mettent en lumière la complexité des relations entre les grandes tendances, telles que la sécheresse, la surpêche et le changement climatique, et d’autres facteurs tels que le désir d’une vie meilleure, le niveau de vie perçu comme élevé en Europe, le manque d’accès à l’éducation et à d’autres opportunités dans leur pays d’origine, l’instabilité politique, le manque de sécurité et les facteurs d’attraction de la diaspora », a déclaré Cornelia Nauen. « Même la presse européenne en a pris conscience. »
En plus des analyses des captures effectuées et de l’évaluation des stocks de 10 espèces pêchées dans la ZEE sénégalaise, les auteurs ont examiné 105 articles publiés dans les médias entre 2000 et 2025, qui traitaient de la migration des pêcheurs sénégalais vers l’Europe. Ils ont constaté que 59 % des articles présentaient les flottes de pêche hauturière comme ayant contribué à l’émigration de ce pays d’Afrique de l’Ouest vers l’UE.
« Les flottes européennes et chinoises opérant dans les eaux hauturières bénéficient d’importantes subventions, ce qui leur permet de maintenir la pression sur les stocks surexploités », explique le Dr Rashid Sumaila, coauteur de l’article et directeur de l’Unité de Recherche sur l’Economie de la Pêche à l’Institut pour les océans et la pêche de l’Université de Colombie-Britannique. « La réduction et la suppression progressive des subventions accordées aux navires de l’UE entraîneraient une augmentation des populations de poissons dans l’UE, améliorant ainsi l’approvisionnement en poisson dans la région et réduisant la nécessité de pêcher ailleurs. Cela permettrait également aux négociateurs de l’UE d’insister pour que la Russie, la Chine et d’autres pays d’Asie de l’Est réduisent leurs subventions aux navires de pêche. » « De nombreux accords internationaux soutiennent cette idée, mais il existe un fossé entre la théorie et la pratique », ajoute le Dr Nauen.
L’article en libre accès “From science to conscience: the plunder of Senegal’s fisheries resources, or Europe’s role in the making of a migration crisis” est publié dans Proceedings of the Paris Institute for Advanced Studies, https://doi.org/10.5281/zenodo.15833918
Pour en savoir plus (en anglais)
Alors que les pays européens évaluent – et certains se vantent – qui a détenu le plus de migrants illégaux et discutent de mesures pour mettre un terme à l’entrée non réglementée de ressortissants étrangers, des milliers de personnes continuent de mourir au cours de leur voyage en mer de l’Afrique vers l’Europe. Cliquez ici
Plus de 10 000 personnes ayant quitté les côtes africaines sont mortes en route vers l’Europe en 2024, selon l’ONG Caminando Fronteras.
MongaBay News: Illegal fishing and its consequences – the human toll of migration in Senegal
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