Ces deux journées du symposium “FishBase-SeaLifeBase” ont offert un éventail de présentations et d’interactions, plus fructueux que précédemment. L’évènement s’est déroulé les 9 et 10 septembre à Perth, au Centre de Recherche Indien de l’Océan (IOMRC) de l’Université d’Australie Occidentale (UWA). Le directeur Peter Veth et Jessica Meeuwig, chef du Marine Futures Lab, ont accueilli chaleureusement les orateurs et les participants en prononçant la "reconnaissance de la nation" habituelle. Lisez la suite pour quelques faits saillants.

Daniel Pauly, responsable du projet Sea Around Us et l’un des «pères de FishBase» a ouvert la série de présentations scientifiques en rappelant l’époque antérieure à FishBase, il ya environ 30 ans. Les recherches halieutiques ont été menées principalement dans les pays industrialisés, leurs résultats étant publiés dans des revues spécialisées auxquelles il était coûteux de s'abonner. Les scientifiques des pays en développement étaient peu nombreux et leurs laboratoires ne pouvaient généralement pas se permettre de payer les taux d'abonnement en vigueur. Et même pour certains scientifiques il était impossible de payer le timbre permettant de demander l’envoi par la poste d’un article d’intérêt. Leur accès à la littérature scientifique était en ce temps indirect grâce aux services de la FAO et les librairies donnant accès aux resumés des articles des sciences aquatiques et de la pêche (ASFA). Ainsi ils étaient informés des recherches sur la pêche mais n’avaient pas accès en temps réel aux publications détaillées.

Dans ce contexte la création en accès libre d’une base de données pérennes relatives à la biologie, la distribution, la croissance et d’autres paramètres propres aux poissons et appuyés par de nombreuses publications scientifiques fut une étape transformative.

FishBase a maintenant plus de 10 000 citations dans Google Scholar, un exploit rarement atteint.

Le plus grand défi au cours de ces 29 années fut de garantir le financement du personnel basé aux Philippines et chargé de l’encodage et du maintien de la base de données, sans qui ce trésor n’aurait pu exister.

Le deuxième défi consiste à améliorer la couverture de TOUS les pays du monde. À l'origine, les données introduites dans FishBase étaient principalement destinées à couvrir les besoins des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), les premiers efforts de développement et de formation étant financés par le Fonds européen de développement (FED) à la demande de ces derniers.

En raison de cela et des efforts soutenus pour couvrir également d'autres pays en développement en partant de l'hypothèse que les pays riches pourraient assurer leur propre couverture, ces derniers se sont toutefois avérés ne pas avoir leur faune de poissons suffisamment représentée. C'était donc une occasion bienvenue de développer une excellente collaboration avec l'Université de Western Australia et certaines autres institutions de recherche (australiennes). Cela permet de faire un effort ciblé pour inclure une mine d'informations sur les poissons dans FishBase et sur les invertébrés et les oiseaux de mer dans SeaLifeBase. Des collaborations similaires sont recherchées avec les Etats Unis et d’autres pays industrialisés.

Constatant que les pêcheries mondiales sont en déclin à la suite d'une surpêche généralisée malgré des signes modestes de reprise dans quelques régions des États-Unis, du Canada et de l'Australie, alors qu'au large de l'Amérique Latine, l'Afrique, l'Inde et l'Asie la pêche est dans un état lamentable, la recherche scientifique devrait être résolument orientée vers la conservation. L'accent mis auparavant sur l'expansion de la production est devenu totalement contre-productif.

Au vu du changement climatique et du réchauffement associé de l’océan qui entraîne la migration des poissons et des invertébrés vers les poles pour maintenir leur niche thermique, il est urgent que la science travaille pour une équité mondiale, évitant un plus grand fossé entre les nations pauvres et riches.

Un exemple d’effort qui peut aider à l’évaluation de la resource dans des situations de données insuffisantes (cas des pays en voie de développement) fut illustré par Rainer Froeser, l’autre créateur de la FishBase, basé à GEOMAR. Avec ses collègues, il a développé une approche bayesienne (CMSY), un système évolutif autodidacte capable d'extraire une information utile aux gestionaires sur base de la connaissance des ressources et informations contenues dans la FishBase. La méthode a déjà été appliquée avec succès à 397 stocks européens (beaucoup d'eux ne sont pas évalués régulièrement) et en collaboration avec des collègues indiens sur leurs données de pêche. Un cours de formation pour scientifiques et gestionnaires de données ouest-africains aura lieu sous peu.

Maria Lourdes (Deng) Palomares, également de Sea Around Us, a montré comment la biomasse des espèces de poissons diminuait dans les régions tempérées et tropicales. Seulement environ 20% des 1320 stocks déjà analysés étaient en bon état biologique, 8% étaient en dessous des limites biologiques de sécurité. Ces résultats ont mis en évidence l'urgence des efforts de conservation et de restauration.

Katia Freire de l'Université de Sergipe au Brésil pointa l'énorme difficulté à faire correspondre les noms locaux d'espèce avec le nom scientifique afin d'attribuer à quelle espèce se rapporte telle ou telle prise rapportée. Selon la zone, les espèces marines ont en moyenne six noms locaux ou commerciaux; les espèces associées aux récifs coralliens en ont plus de sept tandis que les espèces d'eau douce en ont trois (ce nombre peut augmenter avec le nombre grandissant d'études dans les eaux intérieures).

Certaines espèces comme Macrodon ancylodon ont un nombre exceptionel de noms enregistrés (37) dans différents états du Brésil. Dans d'autres cas, plusieurs espèces sont regroupées sous un jargon commun correspondant à une espèce à haute valeur commerciale. Toutes ces nomenclatures constituent un défi de taille pour réconcilier les statistiques nationales et fédérales rendant plus difficile l'évaluation scientifique destinées aux gestionnaires de la pêche.

Jos Snoeks du Musée royal de l'Afrique centrale (MRAC) en Belgique a rendu compte du succès de la formation de scientifiques africains francophones et anglophones à l'identification des poissons et à l'utilisation de FishBase. Ce travail, soutenu par la coopération belge au développement, améliorait la couverture des poissons d'eau douce, bien que les processus de spéciation en cours rendaient la distinction des espèces individuelles souvent très difficile, voire impossible.

Cornelia E Nauen de Mundus maris asbl a rendu compte des progrès réalisés dans la phase pilote de l'académie de la pêche artisanale au Sénégal, qui vise à soutenir la mise en œuvre des directives pour une pêche artisanale durable dans le cadre de l'ODD 14.

Tandis qu'un changement de politique globale est indispensable, notamment par le bannissement des subsides à la pêche industrielle par l'organisation mondiale du commerce (OMC), il est important de developper les capacités des communautés de pêcheurs artisanaux ainsi que celles des hommes et les femmes impliqués dans la chaîne de valorisation des produits de la pêche afin qu'ils profitent de chaque opportunité.

Profiter de la technologie de l'information, notamment sous la forme d'une App donnant accès à la FishBase, est une parmi les nombreuses initiatives de l'académie. La recherche des résultats devrait s'appuyer autant que possible sur des représentations visuelles afin de réduire le recours à des compétences de lecture et de traduction. L'information sur la longueur minimale (illustrée par un poisson et une échelle graduée) et la résilience (utilisant le taux de multiplication de la population comme indicateur de vulnérabilité à la pression exercée par la pêche) serait utile non seulement pour l'académie PAD mais aussi les écoles dans le cadre de l'enseignement portant sur l'Océan. Ce sera en complément de la valise pédagogique sur l'approche écosystémique des pêches élaborée précédemment pour le projet Nansen de la FAO. Les diapositives de la présentation peuvent être vues ici.

Amy Mcalpine de UWA fit une excellente communication sur les moyens d'améliorer la résolution taxonomique des prises du Kenya dont 90% provient de la pêche artisanale. Neil Loneragan de l'Université de Murdoch parla de la biodiversité en Australie occidentale mais aussi sur la démarche à suivre pour augmenter la connaissance des poissons et des prises en Indonésie dont la ZEE est la 6ème du monde en étendue.

Le symposium mit en lumière de nombreuses nouvelles idées mais donna aussi l'impression de ce qu'il y a encore lieu de faire, tant en ce qui concerne la documentation sur la connaissance de base de la vie marine qu'en ce qui concerne le partage aussi large que possible de l'information avec les citoyens de sorte qu'ils puissent apprécier la beauté de la vie marine, déguster des fruits de mer de qualité mais aussi de s'engager dans la protection de l'océan.