L'édition de l'assemblée de l'UEG (l'Union européenne des Géociences) de cette année-ci a atteint un nouveau record avec quelques 14 500 participants inscrits. En dépit du grand nombre de sessions orales ayant eu lieu parallèlement dans le vaste « Centre d'Autriche » de Vienne, la plupart des contributions ont été faites sous forme d'affiche dans deux salles spacieuses prévues à cet effet. Mundus maris a présenté une affiche intitulée «Pratiques de pêche criminelles et leurs effets pervers en Afrique de l'Ouest».

Cette affiche est co-réalisée par Aliou Sall et Cornelia E Nauen, sur la base d'une recherche de terrain au Sénégal et dans les pays limitrophes. Les auteurs soutiennent que l'ampleur atteinte de nos jours par ces pratiques méritent qu'elles soient qualifiées comme «criminelles» et ne doivent plus par conséquent être mises à l'actif d'un simple problème de gestion des pêches.

Les auteurs sont principalement des flottes industrielles internationales opérant à travers les frontières alternant entre la criminalité organisée d'une part, des activités jugées légales parce que menées dans le cadre d'accords légitimes d'autre part.

Cela rend les poursuites particulièrement difficiles pour les autorités des pays en développement dépourvus des moyens de financement requis, avec des moyens insuffisants pour les opérations de suivi, de contrôle et de surveillance (MCS). A ces contraintes, s'ajoute le peu de capacité à utiliser la technologie d'observation de la Terre pour suivre les modèles d'exploitation. Les résultats nets sont d'abord des pertes financières importantes pour les pays, estimées par Doumbouya et al. (2017) (1) pour les pays de l'Afrique du Nord-Ouest à 2,3 milliards de dollars par an.

Silvia Peppolone introduced the geoethics session streamL'affiche a suscité d'intéressantes discussions pour deux raisons principales. D'abord c'est parce qu'elle a permis d'exposer l'ampleur des pratiques illégales. Ensuite, elle a suscité une surprise et une nouvelle réflexion à leur sujet en tant que crime organisé avec une tendance à se synchroniser au niveau international; ceci sans oublier d'avoir fait des propositions en termes des mesures les plus prometteuses pour protéger les personnes, les emplois et l'environnement dans la région de ce pillage. Ceux-ci sont:

1. La poursuite systématique par des procédures nationales et internationales de lutte contre le crime;

2. Davantage d'efforts de sensibilisation du public et du changement dans les perceptions, notamment par un engagement plus critique des scientifiques;

3. L'interdiction des transbordements en mer;

4. L'adoption de systèmes mondiaux d'enregistrement des captures; et

5. Le renforcement des capacités des institutions publiques et des personnes qui subissent les conséquences.

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Quelques jours seulement après la conférence, Andrew Jacobs a soulevé le problème dans un article qui a attiré beaucoup d'attention dans le New York Times, basé sur cinq années de recherche minutieuse reconstruisant de véritables prises halieutiques dans la région. Cette recherche menée par Dyhia Belhabib du projet Sea Around Us, en collaboration avec de nombreux collègues de la région, pour la première fois, fait une distinction de façon systématique entre les captures industrielles, artisanales, celles de subsistance et récréatives, ainsi que dissociant les captures légales des illégales.

Johanna Ickert renforce les capacités de communication des chercheurs à travers la production de filmsLe sujet s'inscrit très bien dans le courant des sessions portant sur la géo-éthique et le défi de communiquer les sciences de la Terre plus efficacement aux citoyens du monde entier afin de s'engager ensemble pour un comportement éthique envers la planète et tous ses habitants.

Dr. Silvia Peppoloni de l'Institut National de Géophysique et Vulcanologie à Rome a introduit la séance d'ouverture. Elle a noté que compte tenu de la taille de la conférence, seules 12 présentations orales pouvaient être accueillies, tandis que les 61 autres résumés dans le flux avaient été invités à se présenter dans la séance d'affiches. Elle a également fait le point sur la croissance rapide de l'Association internationale pour la promotion de la géoéthique (International Association for Promoting Geoethics - IAPG). En l'espace de quelques années seulement d'existence de de sa fondation, l'Association a attiré plus de 1500 membres dans 111 pays. Ladite Déclaration de Cape Town de l'IAPG a fourni le cadre d'un débat fertile.

Stefano Tinti et Alberto Armigliato ont partagé des réflexions sur les fondements de la géoéthique. Il existe une longue tradition qui promeut un comportement éthique au cœur du mouvement environnemental sur lequel les géosciences peuvent développer leur concept de géoéthique. Plusieurs autres intervenants et participants qui ont posé des questions ont examiné les significations et les implications des principes énoncés dans la Déclaration et ont aidé à clarifier la compréhension du concept.

David Crookall (à gauche) et Pimnutcha Promduangsri pendant la présentation de Fish BanksJohanne Ickert de l'Université de Plymouth a montré un exemple de la façon dont la collaboration entre les scientifiques et les cinéastes professionnels pourrait générer de nouvelles idées et un engagement critique. En utilisant le film comme méthode, elle a posé des questions telles que: «comment le processus de production de film peut-il provoquer une majeure prise de conscience des chercheurs aux dimensions éthiques et socioculturelles de leur travail?» Et encore, «comment améliorer leurs compétences de collaboration interdisciplinaire?» 

Elle a déclenché avec succès une réflexion autocritique chez les scientifiques participant à un atelier et a aidé à développer des compétences cruciales de communication. Raconter de telles histoires a été un moyen de construire des ponts entre des scientifiques de différentes disciplines et entre chercheurs et citoyens ordinaires. Comme cela constitue un moyen d'ouvrir de nouveaux canaux de communication intéressants. Ceux-ci sont importants pour favoriser les principes éthiques et leur application.

David Crockall de l'Université de Nice Sophia Antipolis a rendu compte d'un travail approfondi sur une version mise à jour du jeu Fish Banks. La version originale de Fish Banks, créée par l'auteur de « Limits to Growth », Dennis Meadows, en 2001, est un jeu de rôle dans lequel des groupes de joueurs exploitent des entreprises de pêche. En collaboration avec Pimnutcha Promduangsri, il a utilisé son expérience de coaching avec les joueurs grâce à des débriefings approfondis après la panne de leurs entreprises - une expérience à laquelle de nombreux, sinon la plupart des acteurs ont pris part - pour discuter de l'éthique des méthodes éducatives pour enseigner la géoéthique.

Jan Boon a travaillé beaucoup dans et avec l'industrie minièreLes émotions éprouvées lors du jeu offrent une expérience d'apprentissage beaucoup plus forte sur l'équilibre de l'environnement et des bénéfices que s'il s'agissait simplement de donner des conférences sur l'utilisation durable d'un pool de ressources communes.

Chris Cuomo, professeur de philosophie et études féminines à l'Université de Géorgie, États-Unis, a présenté un autre aspect. Elle a contesté l'utilisation parfois lâche du terme «anthropocène» à titre d'époque géologique et a invité plus de prudence à déclarer la fin de l'holocène afin de maintenir certaines des obligations morales associées au genre humain et non humain vis-à-vis la Terre.

La session suivante a porté sur la manière éthique et efficace de rendre accessible les géosciences pour répondre aux besoins de la société en explorant des exemples de pratique en Autriche et dans une infrastructure internationale de données (EPOS). Jan Boon a conclu cette partie avec une analyse des codes de l'industrie et la mesure dans laquelle ils intègrent déjà la géoéthique dans leurs principes.

Le thème de la géoéthique a déjà parcouru un long chemin depuis l'édition de 2015, lorsque Mundus maris a présenté sa première contribution aux affiches dans ce domaine. Les débats sur la façon d'engager les sciences de la Terre plus efficacement avec les citoyens et les préoccupations de la société avaient fait l'objet d'une seule session au début, mais le succès enregistré par cette thématique s'est traduit dans toute une série de sessions en 2017. Néanmoins, on a toujours l’impression qu'il reste beaucoup de chemins à parcourir afin que les positions éthiques deviennent une partie de la pratique normale dans les sciences académiques et les entreprises.

Bref compte-rendu et images par Cornelia E Nauen.

(1) Doumbouya, A. et al., 2017. Assessing the Effectiveness of Monitoring Control and Surveillance of Illegal Fishing: The Case of West Africa. Frontiers in Marine Science, Vol. 4, Art. 50:10 p. doi: 10.3389/fmars.2017.00050